Le feuilleton de Glasgow, Day Four : Pluie(s), fatigue(s), et médailles d’argent

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Encore une journée à l’image de la vie (carrément) : l’adversité n’est pas toujours vaincue, mais les satisfactions ont d’autant plus de goût. Longue journée pour les Freestylers, dure journée pour les routiers, journée contrastée pour les pistards – lesquels, via Valentine Fortin et Benjamin Thomas, décrochent deux médailles d’argent.

La pluie fait du freestyle

Hier la pluie a perturbé le déroulement des qualifications en BMX Freestyle Park – les fameuses douches écossaises ne prennent pas de vacances, qui ont imposé aux riders de longs temps d’intermittence. Coude appuyé sur le guidon et menton dans la main, tempête mentale sous le casque, on patientait tant bien que mal. Cette humeur parasympathique déclenchait force bâillements (dont on sait bien qu’au-delà de l’ennui, ils manifestent une adaptation au stress.) À 19.00 la décision a été prise de reporter à ce matin, laissant frustrée une petite vingtaine de concurrents. Si Kevin Fabrègues et Luca Bertrand finissaient respectivement la journée sur des 9et 10e places provisoires, conservant une chance de faire partie des 24 qualifiés, Anthony Jeanjean n’avait pas eu l’occasion de présenter son run, non plus que Laury Perez.

Aujourd’hui avait débuté sous un soleil plus franc que les autres jours. Et puis le ciel est devenu moins pur, et les averses ont à nouveau interrompu les festivités sur le Park. Entre temps Laury, à l’issue de ses deux runs, avait obtenu un score moyen de 56,82 points, nettement insuffisant pour se qualifier. « Le niveau chez les Dames est de plus en plus élevé, commente Patrick Guimez, le coach de l’équipe de France. La pression est plus forte, provoquant des erreurs. Mention spéciale à la Chine qui qualifie ses cinq concurrentes. Concernant Laury, ses tricks étaient bons, mais elle manquait un peu de rythme. »

Quant à Anthony Jeanjean, deuxième au ranking UCI, il dut attendre 20 heures pour se lancer et « se qualifier facilement, poursuit Guimez, en se plaçant 3e. On voit qu’il en a encore sous le pied, il utilise les transferts et tourne dans tous les sens. »

Lundi, les finales opposeront 24 riders, en deux runs chacun dont seul le meilleur comptera : gros spectacle en perspective.

Que choisir ?

N’ayant pas le don d’ubiquité et conséquemment obligés de choisir où transporter nos corps, nous avions pris le chemin de George Square, pour assister à l’épreuve sur route. À l’heure où la course était interrompue, bloquée en rase campagne par les manifestants, de son côté Corentin Ermenault s’élançait pour sa qualification en poursuite individuelle, mais sans succès : diminué par sa chute de dimanche [il était tombé en compagnie de Quentin Lafargue], le Picard ne réalisait, en 4’12’’340 que le douzième temps, et n’irait donc pas plus loin dans le tournoi. Décidément, les endurants français paient cher ce coup du sort initial.

Avant que le peloton des routiers arrive sur le circuit urbain de Glasgow, Mathilde Gros eut aussi le temps de se qualifier pour les demi-finales du Keirin, à l’issue d’une série très houleuse, marquée par une chute et la disqualification de la Japonaise Mina Sato.

La déveine et la fatigue

Le présent étant fait d’Histoire, la route reste la discipline phare aux yeux du grand public, et la course d’aujourd’hui quelque chose comme le noyau dur de ces super championnats UCI. Pour les stars du peloton, les Glasgoviens étaient sortis en masse, se joindre aux supporters venus des quatre coins d’Europe. Dans Montrose Street, plusieurs couches humaines se pressaient contre les barrières, et il n’est pas une saillie d’architecture ou un élément de mobilier urbain qui ne servît de promontoire d’escabeau.

Malheureusement, l’équipe de France n’a pas été à la fête, et parfois il n’est pas grand-chose à faire contre les circonstances contraires. On ne saura jamais ce dont Christophe Laporte, ou même Julian Alaphilippe auraient été capables au terme de cette gigantesque et sauvage kermesse de 270 bornes. Le sort en a décidé autrement, sous la forme d’une crevaison intervenant au plus mauvais moment (c’est-à-dire à l’instant même où les Belges forçaient l’allure pour faire la sélection) pour le leader désigné des Français. On savait que sur ce « circuit aux 48 virages », boucher 15 ou 20’’ serait difficile : que dire alors de la minute de débours concédée par les deux atouts majeurs de l’équipe de France ? Après avoir chassé de longs kilomètres, ils ont jeté l’éponge à 80km de l’arrivée. Ne restaient alors dans le groupe de tête d’une course absolument folle que deux maillots bleu-blanc-rouge, ceux de Benoit Cosnefroy et de Valentin Madouas, lequel résista longtemps avant de céder sous la pression répétée des Evenepoel, Van Aert, Pogacar et celle d’un Van der Poel manifestement imprenable, pourquoi ne pas le dire.

Nos deux survivants Valentin Madouas et Benoit Cosnefroy se classaient respectivement 15e et 47e d’une galère dont ne vinrent à bout que 51 coureurs. Du Breton on espéra longtemps un exploit, mais la distance, les relances explosives, la pluie ajoutant encore à tension nerveuse des virages sont venus à bout de ses forces. Sitôt la ligne passée, interrogé sur son « sentiment », il donna cette réponse éloquente : « Je ne sais pas, je j’ai aucun sentiment ! J’ai juste mal partout, au dos, aux épaules, au cou. On pensait que le circuit nous ferait perdre la tête, on a perdu les jambes, tout simplement. J’ai essayé longtemps de repousser les crampes. On devait attaquer en arrivant sur le circuit, pour avoir un coup d’avance, mais nous sommes tombés sur plus forts. Sur un circuit comme ça, si tu n’es pas devant, si tu n’es pas le plus fort, tu subis beaucoup, tu tournes à droite, à gauche, tu t’accroches à la roue qui te précède, c’est tout ce que tu peux faire. Qui plus est, tu ne vois rien, tu ne sais pas où sont les autres, tu ne sais rien.  Il n’y a pas d’oreillette, et que Christophe avait crevé, on ne l’a appris que par l’ardoise, avec un temps de retard. »

Un ticket pour la finale, svp.

Quitter George Square, résonnant encore de chants néerlandais, et arriver au Sir Chris Hoy Velodrome à temps pour la demie de Mathilde Gros, tel fut notre exploit personnel. La satisfaction n’en fut que plus grande, car c’est d’abord avec beaucoup de maîtrise que la championne du monde en titre de la vitesse individuelle (elle l’est encore, à ce jour !) a réservé son billet pour une finale où, en revanche, les choses lui échappèrent.

Valentine Fortin argentée

Le temps de ranger le K-Way, et c’est à une autre course pleine de maîtrise que nous assistions, avec un brin de surprise cette fois-ci – et un énorme plaisir. Non que nous ne sussions Valentine Fortin forte, habile et clairvoyante. Elle se montrait très concentrée. Mais la retrouver dans le dernier trio de l’élimination, entourée de Lotte Kopecky et de Jennifer Valente eût presque suffit à notre bonheur. Or, non seulement l’Américaine ne parvint pas à soutenir le rythme imprimé par les deux autres, mais la Française se paya même le luxe d’attaquer Kopecky d’une trajectoire super-plongeante qui aurait pu faire mouche. « J’y ai cru jusqu’au dernier moment, et je suis déçue comme à chaque fois qu’on perd un match – mais je sais que d’ici quelques heures je serai contente, parce que je suis tombée sur un gros morceau. Lotte est la championne en titre de l’élimination, elle a fait un Tour de France incroyable et Jennifer Valente est la championne olympique de l’omnium, donc je peux être fière de cette médaille d’argent. » Tu m’étonnes.

« Ben » redresse la barre

À 21.30 en zone mixte, combinaison ouverte et une bouteille de Tropico à la main, le deuxième de l’omnium a presque fait mine de s’en vouloir. Mais plus précisément, il a confessé une erreur. Deux heures plus tôt, prématurément sorti de l’élimination, on l’avait vu manifester son mécontentement envers les arbitres. Un fait de course dont il donne maintenant une version apaisée, ne s’en prenant qu’à lui-même « J’ai vu le Canadien passer sur la côte d’azur, j’ai pensé qu’il allait être déclassé, et je me suis déconcentré et au lieu de me replacer je me fais enfermer. Il faudrait peut-être que j’arrête d’aborder la dernière épreuve de l’omnium en dixième position. Cela étant, qui sait ? si j’étais arrivé mieux classé, je n’aurais peut-être pas eu les mêmes opportunités »

Quoi qu’il en soit, les faits sont là : « Ben », ainsi qu’on l’encourage dans toutes les langues depuis les gradins, finit médaillé d’argent de l’omnium après en avoir abordé la quatrième et dernière épreuve en 9e position. En d’autres termes, il a survolé cette course aux points, donnant un nouvel exemple de cette lucidité qui lui vaut le respect unanime de ses pairs. Ah, une dernière chose : il dit (et on n’a pas de raison de mettre sa parole en doute) qu’il se sent un peu « poussif. » Comme l’an passé à Saint-Quentin. Et comme l’an passé, il lui reste la Madison à courir…

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